Tandem - édito de Gilbert Langlois
Saison 2025-2026

édito de Gilbert Langlois

Cher public,

Joie collective — Apprendre à flamboyer ! Tel était récemment, le programme  à l’affiche d’un centre d’art parisien. Ces rencontres invitaient à l’expérience de la joie collective  dans notre quotidien, non pour faire  une sorte de parenthèse enchantée, mais comme « résistance consciente, active, à l’ordre dépressif du monde ».

Comment parler de joie collective par ces temps menaçants ? Quand les temps sont durs,  
il est essentiel de naviguer vers d’autres rives, d’autres récits. C’est ce que nous nous efforçons de faire cette saison, en affirmant une approche joyeuse de l’art, en réunissant une scène française et internationale, ouverte sur le monde. Quand il s’agit de battre en brèche les carcans qui façonnent nos vies, il arrive que les mots portent la colère et dans un temps après, la joie. 
Il est parfois nécessaire de passer par la fiction pour s’affranchir des discours ambiants. Il y a nos histoires fantômes, parfois peu magistrales, mais il y a aussi nos récits fantasques, héroïques. Il y a parfois aussi, un aveuglement spéculatif sur l’histoire passée et un souhait d’un éternel retour du même, comme si le même revenait à tout jamais à l’identique. En empruntant certains chemins buissonniers, il est possible de descendre dans l’obscurité tout en faisant apparaître de la lumière. Aurores ou crépuscules, nos partages entre chien et loup contribuent à nous remettre au monde. « La joie est le passage de l’homme d’une moindre  à une plus grande perfection », écrivait Spinoza, grand penseur de la joie.

Traditions aliénantes, mais aussi éloge du désir et joyeuse trivialité se côtoient dans Le Songe d’une nuit d’été par Arnaud Anckaert. Colère et sororité sont porteuses de joie dans le spectacle Peau d’âne — la fête est finie.

Sauve qui peut (la révolution) de Laëtitia Pitz est un regard critique porté sur le mythe fondateur de notre République, mais aussi un acte de désobéissance porté par un collectif passé maître dans l’art du montage et de l’entrelacement  des formes. Mariage sans joie et vie provinciale ennuyeuse contribuent à raviver la combativité d’une femme dont l’aspiration est de se forger son propre destin, dans Bovary Madame de Christophe Honoré. Dans Ivanov, mis en scène par Jean-François Sivadier, les personnages tchekhoviens ont leur part de médiocrité mais, dans le même temps, sont attachants et criants de vérité. Si l’on y regarde de plus près, Le Mystère du gant est autant une histoire de famille complexe, qu’une comédie de mœurs rocambolesque, façon vaudeville où les portes claquent et les éclats de rire fusent.

Il y a les monologues bouleversants, hantés par des voix et des  images fantômes, à la frontière de l’autofiction, de l’enquête et du poème universel.
Dans Face à la mère, un fils s’adresse  à sa mère, assassinée à Haïti. Il nous livre le récit poignant d’une tragédie familiale qui se confond avec une histoire mondiale de l’exil. Thésée, sa vie nouvelle raconte la quête d’un homme qui, suite au suicide de son frère, tente de recoller les morceaux de son existence. Parallèlement, il nous entraîne dans les strates de l’histoire européenne du vingtième siècle.

Il y a les duos en forme  d’échappées inattendues.
Israel & Mohamed est un dialogue dansé entre les rives de la Méditerranée, où les différences de cultures se révèlent aussi  fécondes que les affinités, où l’intime et le politique s’entremêlent. Dans Vivace deux danseurs, parfaitement synchros, passent d’une pulsation à l’autre, du Madison  
au baroque, en passant par la pop et l’électro. Dans Fantasie minor, la scansion à quatre pieds répond à une composition pour piano à quatre mains. Crocodile renouvelle avec brio le genre chorégraphique  du « pas de deux », en déclinant toutes les nuances du sentiment amoureux. Les Gaulois d’Olivier Martin-Salvan et de Thomas Blanchard est un récit tragi-comique, qui se passe aujourd’hui, au temps du retour du fascisme en Europe.

Il y a les récits, miroirs de notre époque, où les enfants tiennent un rôle central de passeurs de la parole, de la vérité, où la jeunesse est confrontée à son usage addictif des réseaux sociaux. Dans Le Spectacle qui écoute enfin la parole des enfants, les enfants expriment une pensée parfois bien plus libre et créative que celle des adultes. Liens familiaux et pulsations vitales vont de pair dans Valentina. Pour émerveiller et nourrir l’imagination des enfants, ombres, lumières et sons électro  s’entremêlent dans EKLA!
Neige est un conte moderne aux images scéniques à couper le souffle. Olalaland promet d’être une aventure musicale et dessinée qui esquissera le portrait de Madame Olala, un être lunaire inspiré du cinéma de Keaton et de Tati. Semilla exprime la joie de semer, de rêver petit, puis grand, de célébrer le respect du rythme de la nature.

To like or not, à mi-chemin entre expérience numérique et théâtre, entre écran et incarnation, est une immersion dans le monde de l’adolescence à l’ère des réseaux sociaux. À cette période de la vie, le regard de l’autre est central et l’identité est une quête chaotique où il faut souvent cacher ses failles et ses émotions véritables.

Par la danse, il s’agit de laisser la parole aux corps. Entremêlant danses urbaines et clubbing, empruntant parfois à la comédie musicale parfois aux folklores, lançant des ponts entre l’ancien et le contemporain, la danse porte en elle un inlassable apprentissage du vivre ensemble. Des-espoirs, pièce chorégraphique d’Irène Tassembédo qui ouvre cette saison, est autant un récit, par les corps, de la violence qui secoue sa région d’origine, le Sahel, qu’elle est une ode à la puissance créatrice d’une jeunesse en résilience. F*cking Future, s’attaque à l’expression de la virilité, sur fond de techno industrielle et de fanfares militaires. The Dog days are over 2.0 célèbre le corps, sa puissance, sa résistance : le saut est la principale figure effectuée ici, à l’unisson par huit danseurs. Ode est une célébration païenne, en forme de sacrifice sur l’autel de l’injonction au bonheur. Dans Último Helecho, deux performeurs et huit musiciens  partent à la rencontre des folklores argentins et péruviens, en célèbrent la grande vitalité.

Les musiciens sont des médecins de l’âme. Ils nous accompagnent dans notre quête d’émotions. La musique est au centre de tout ; c’est du moins ce qu’affirme le danseur et chorégraphe portugais Lander Patrick dans Wonderlandi, son nouvel opus. Didon et Enée, du compositeur Henry Purcell, est le récit d’une histoire d’amour mythique ; trois actes palpitants, des airs bouleversants, des émotions universelles. On touche au sublime. Musiques interdites livre un autre hymne à la beauté, à l’audace et à la liberté ! Écoute intense avec Les Métaboles, l’un des meilleurs ensembles vocaux français d’aujourd’hui. Répertoire, à fleur de peau, avec Maria et Nathalia, le duo Milstein, deux sœurs nées sous le signe du romantisme, l’une est pianiste, l’autre violoniste. Avec Destinées, Sophie de Bardonnèche et ses deux complices explorent les œuvres de femmes compositrices  des 17e et 18e siècles ; de la mélancolie profonde, à la joie fortifiée et entraînante. Jojoni, de l’Ensemble 0, est un programme de courtes pièces hypnotiques et ludiques, un éloge du temps passé à profiter des choses. Pour cela les interprètes ont choisi  de se déplacer d’un lieu de concert  à l’autre, à vélo.

Les jeux du cirque et le cirque des mots sont de la partie, pour nous mettre le cœur en joie. Avec Circus Remake, Maroussia Diaz Verbèke ouvre une tierce voie  qu’elle nomme « troisième cirque » ; entre cirque contemporain et tradition. Les « folitudes » de Typhus Bronx, clown extra-lucide, plongent à l’intérieur de nous pour y mettre le Bronx, dans son spectacle Trop près du mur.

Il faut venir me chercher nous met en présence d’une clownesse au nez rouge et au cœur gros, en quête d’amour. Autres portraits  de femmes, autres performances métaphysiques, La Bête noire et Petite reine sont des miroirs tendus aux femmes en lutte pour se réapproprier leur corps, leur identité, pour rejoindre la lumière.
La force du collectif est très présente dans des jeux du cirque aux allures de cabaret contemporain, pour y réaliser des portés acrobatiques spectaculaires et des pyramides humaines vertigineuses. Dans Ten Thousand Hours et The Mirror, le cirque s’augmente d’effets numériques et de sonorités mixées en live, la danse n’est pas loin. Derrière le miroir illusoire des écrans omniprésents dans nos vies, ces artistes virtuoses venus d’Australie recherchent l’authenticité. Dans Sans regrets ?, les circassiens de la compagnie The Rat Pack affrontent la fin du monde et défient la gravité avec un humour irrésistible.

Tout au long de cette saison, le cinéma en nos murs entrera en résonance avec les rendez-vous sur nos plateaux. La salle obscure nous fait voir le jour.

Que cette saison débordante, poussée par un vent de joie, soit partagée. Et, comme dirait Madame Olala, « Qu’elle fasse naître la magie et tourner à pleinl’usine à rêves ! »  
Que la liberté des formes et des récits soit contagieuse. Qu’elle propage l’inspiration.
Que l’insignifiant se fasse grand. « Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau… Entre où tu as envie  et accorde toi le soleil… Donne des forces aux inconnus… Dédaigne  le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux. Passe par les villages, je te suis. »* Ces mots de l’écrivain Peter Handke, en forme de préceptes poétiques totalement dénués d’autoritarisme, n’en sont que plus inspirants.

Bienvenue, Flamboyons !

Gilbert Langlois,  
directeur

*Par les villages, Peter Handke (Prix Nobel de littérature en 2019)